Le tricot, un empowerment pour les femmes ?

Bonjour,

 

Voici la bande son pour l’article !

aujourd’hui je reviens sur un article plus « réflexif » sur le tricot. Je suis souvent confrontée, en tant que féministe, à des remarques sur le fait que je tricote. Du coup directement je me dis que ces personnes ne connaissent pas vraiment les différents intérêts du tricot pour l’empowerment des femmes.

Je ne suis pas à l’origine de cette réflexion : les mouvements féministes utilisent depuis LONGTEMPS les ateliers tricot, de nombreux articles, documentaires concernent cette question. J’en ai particulièrement trouvé en anglais :
https://fr.scribd.com/document/69335571/Knitting-Empowerment-Universidad-de-Xalapa-Alejandra-Gutierrez
https://www.youtube.com/watch?v=b4xqBq7n3RI

Tout d’abord, qu’est ce que l’empowerment ?

L’empowerment, parfois traduit par « empouvoirement » (mais personnellement je trouve ça très moche) mais aussi autonomisation (chez nos amis quebecquois parait-il?) est de s’octroyer plus de pouvoir afin d’agir sur nos conditions sociales, économiques, politiques. Il peut-être utilisé dans une vision très « néo-libérale » du type « Quand on veut on peut » (je déteste cette citation qui nie tout a fait la sociologie, mais passons). Mais aussi – et c’est celle qui nous intéresse – dans le cadre du militantisme, dans mon cas féministe.
En gros l’empowerment féministe, c’est apprendre les pouvoirs que nous possédons (ou que nous pouvons acquérir) pour se sortir de par exemple : l’isolement social, le consummérisme, et caetera.

Le contexte :

Je pars du contexte actuel des femmes, de la domination masculine comme un « système ». Je ne vous demande pas de lire Pierre Bourdieu « La domination masculine » afin de comprendre cet article, loin de là : 1. j’ai jamais su le terminer parce qu’il écrit de manière extrêmement lourde 2. C’est un peu trop complexe pour un article de blog : je ne prétends pas être sociologue ou être parole d’évangile. 3. De nombreuses chercheuses féministes, comme Anne-Marie Devreux, avaient déjà travaillé sur ce concept bien avant Bourdieu (enfin bien avant, le temps est relatif) du coup il serait intéressant de plutôt lire ses travaux.
Le contexte : La domination masculine c’est une construction sociale. Simone de Beauvoir disait « on ne naît pas femme, on le devient ». Une fille ne naît pas en sachant faire la cuisine, épilée, gentille avec un bras aspirateur, un autre femme d’affaire, une jambe s’occupant des enfants et l’autre jambe s’occupant de sa beauté. Autant de pressions qui pèsent sur les femmes : elle doit être une mère, une femme d’affaire, une épouse, un standard de beauté, intelligente mais pas trop, sexy mais pas trop, courageuse mais pas trop.
Le but n’est pas de dire les femmes ont telle ou telle oppression mais de dire, les relations entre les sexes dans notre société font qu’un homme qui cuisine est plus valorisé qu’une femme qui cuisine ou que statistiquement un homme coupe plus souvent la parole à une femme que le contraire ou que la majorité des agressions (sexuelles et autres) sont en majorité faites par des hommes sur des femmes. Que les femmes sont le plus souvent cheffe de famille monoparentales avec un métier précaire (intérimaire, temps partiel, flexibilité), donc plus souvent les victimes de la pauvreté. Qu’une femme noire, sera plus souvent victime de discriminations qu’une femme blanche, on ajoute à ça la précarité. Et nous avons trois système de domination : racisme, sexisme, capitalisme qui s’emboitent, ou pas. (il y en a bien d’autres : le validisme de notre société (ne pas prendre en compte les malvoyants ou aveugles, malentendants ou sourds, ne pas avoir de trottoir pour les chaises roulantes, etc etc)
Je simplifie le morceau, bien sur. Je sais c’est chaud, désolée.

Pourquoi je pense que le tricot peut contribuer à donner plus de pouvoir aux femmes ?

  1. Fabriquer quelque chose que l’on peut toucher et la confiance en soi :

Certaines ont un métier où elles fabriquent des choses, mais bien souvent ce n’est pas la même chose de le faire pour gagner des sous que pour son hobby. On ajoute maille après maille et bam on a un pull, un accessoire pour soi fait par soi. C’est moi qui l’ai fait, je valorise mon travail, je suis capable de faire quelque chose, je renforce mes capacités. Certaines vont même créer des modèles, ce qui demande de nombreuses capacités : mathématiques, rédactionnelles, créatives, recherches, communication et j’en oublie. Vous devenez une véritable styliste. Pourquoi est-ce qu’un homme qui fait du tricot créatif a plus de réputation qu’une femme qui fait la même activité ?  (celles qui savent savent)
On acquiert du savoir-faire, que l’on retient, une technique que l’on pourra réutiliser dans d’autres contextes (lisez patrons). Cela donne confiance en soi, après s’être fait écraser au boulot (ou autre), avoir passé une sale journée ou x ou y raisons quoi de mieux que de rentrer chez soi et s’adonner à une activité que l’on SAIT faire ? Et ça vaut pour toutes les activités, créatives ou non.

2. Créer quelques choses dans une société toujours plus industrialisée.

Tricoter c’est aussi connaître le juste prix des choses, connaître la qualité. Moins consommer parce que après tout : j’attendrai, je bosserai dessus et j’aurai la même chose en mieux et pour souvent moins cher.
Oui, la laine coûte cher mais si vous achetez un pull 100% laine dans le commerce…. Même en acrylique, des acryliques de mauvaises qualité pour 50 € chez Zara, merci non merci.
Le tricot permet donc de se donner un certain pouvoir économique : je sais faire les choses (éventuellement les vendre pourquoi pas? > autonomisation financière), je sais critiquer le système économique qui m’entoure et notre manière de consommer.

On s’insère dans une démarche de durabilité ! Développement durable, développer son pouvoir pour un changement écologique!

Qui disait que faire du jersey c’était un tricot sans cerveau ?

3. La création d’une communauté.

« Tu ne sors plus, tu restes le soir à tricoter chez toi, c’est de l’isolement »
C’est bien une phrase de quelqu’un qui ne connaît rien au tricot rassurez- moi ? Et même, quel problème à rester seule chez soi si cela nous plaît ?
Il est néanmoins prouvé, que le tricot c’est aussi une communauté assez englobante ! Et oui, quel-le non tricoteur-teuse, se doute qu’il existe tout un réseau ? D’ailleurs, le tricot a aussi été utilisé pour sortir les femmes au foyer de leur solitude (et l’est toujours!).
Il y a d’une part une énorme communauté, constituée virtuellement, qui a dit qu’internet était forcément mauvais ?
Et même « In Real Life » (expression pour signifier la vie sur terre), vous sortez dans votre magasin préféré de laine, souvent organise des réunions tricot, il y a des clubs tricot. Bref, vous sortez, vous faîtes connaissance avec des personnes qui ont la même passion que vous, cela vous donne un nouveau pouvoir social, vous créez de nouveaux réseaux. Qui dit de nouvelles rencontres dit de nouvelles discussions, élargir ses horizons, ses idées, changer. Bref s’autonomiser socialement.

4. Tricoter en militant ?

Le tricot peut aussi, lors d’atelier non mixte féminin, être un lieu d’échange pour les questions liées aux femmes. Tout le monde sait qu’entre tricoteuses personne tricote (ou presque). Il existe des questions que certaines femmes n’abordent qu’entre femmes, pour des raisons sociales, d’être à l’aise cela peut débloquer certains questionnements, certaines situations.
On peut faire un projet de tricot féministe :

  1. Qui ne connaît pas les fameux « pussycat hat » : les bonnets avec des oreilles de chatte rose ?
    Image utilisée par les féministes et surtout suite à l’élection de Trump aux USA lors de manifestations et le danger que représente son mandat pour les femmes et leurs droits !
    Capture d_écran 2017-12-19 à 12.18.02

Pourquoi pas en créer un pour aller en manifestation ?

2. Le mini utérus !
Vous avez bien lu, tricote ton mini utérus.
Des féministes, lors de la mise en danger de l’IVG (ou pour sa légalisation ou dépénalisation), tricotent des mini uterus ou vulves à envoyer par la poste a ses représentant-e-s politiques ! Je trouve cette idée géniale
Le patron en anglais : http://knitty.com/ISSUEwinter04/PATTwomb.html
Mais il y en a bien d’autres des patrons sur ce thème.

Capture d_écran 2017-12-19 à 12.26.30

J’échange avec des personnes qui habitent au Quebec, aux USA et même en France ou en Belgique que je n’aurais jamais rencontrée, je développe un certain sens de la créativité, je remets en question ma consommation et mon rapport au capitalisme, j’apprends à « faire » quelque chose, je valorise mon savoir faire. Je peux mettre mon activité au service d’une cause.

Qui a dit que le tricot était inutile ?

J’attends vos commentaires et votre avis sur ces questions !

Passez une adorable journée

 

PS : l’image « à la une » est une photo venant de Brian Snyder pour Reuters

Laura

13 réflexions sur “Le tricot, un empowerment pour les femmes ?

  1. Je ressens la même chose sur pas mal de points abordés dans ton article!
    La communauté tricot est super intéressante et est devenue une bulle de « self-care » pour moi. Même si elle n’est, bien sur, pas parfaite et peut reproduire certains schémas sociétaux: un super article là dessus: http://www.knitsallfolks.com/diverse-fiber-folk/
    La pratique du tricot m’a aussi révélé des nouvelles choses sur moi: j’ai réalisé que je manquais de confiance (Encore!! Je pensais pourtant que ça allait mieux!!) et me pensais incapable de tricoter des projets compliqués ou plus gros. Et c’est via l’échange à travers les podcasts (une forme de « sororité »??) , que j’ai réalisé que je devais bien en être capable aussi et que j’ai commencé à me lancer dans des projets différents!!
    Le domaine des arts textiles est vraiment un univers immense et génial ancré dans le quotidien et du coup avec des aspects sociologiques forts que j’aime découvrir. Mais par rapport à ces questions féministes, je m’interroge aussi sur le fait qu’on parle d’arts dans certains cas et dans ces domaines plus féminins de » loisirs créatifs »….
    En fait l’invisibilité des femmes dans les arts et de la création est importante comme dans les autres mondes… Et du coup d’un point de vue personnel j’ai également réalisé à quel point c’est des aspects que j’ai réprimé: la création, l’expression etc…

    Pour les lectures sur le sociologie et féminisme, si tu ne la connais pas encore : je ne peux que te conseiller la collection super méga géniale de sciences humaines : Les sorcières, aux éditions cambourakis: https://www.actualitte.com/article/interviews/la-collection-feministe-d-isabelle-cambourakis-entre-militantisme-et-edition/62733

    Merci pour cet article!! Cela me fait super plaisir de retrouver certains de mes questionnements et de mélanger monde du tricot au reste!!!

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  2. Très intéressant, c’est un sujet qui m’intéresse énormément car étant femme et féministe, et maintenant propriétaire d’une boutique de laine je réfléchis beaucoup à ça. La semaine dernière on en discutait avec une amie, et notamment la place des hommes dans le monde du tricot. Un sujet de vaste réflexion… xx

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  3. Merci pour ton article.

    Je ne me dis pas féministe parce que je ne supporte pas non plus les préjugés dont sont victimes les hommes concernant leur présumée violence, leur relation avec leurs enfants (la notion de maternage me dérange : j’ai allaité mon garçon longtemps mais son papa est aussi très présent pour le réconforter), etc. Du coup j’ai tendance à me positionner contre le partage genré des traits de caractère et des tâches et des qualités…

    Le post de By Hand London suite à la fusillade à Las Vegas, reprenant une citation de Gloria Steinheim qui mettait en relation l’autorisation de port d’arme plus facile à obtenir aux US que la « l’autorisation » d’avorter m’avait mis mal à l’aise car cela commençait par « I want any young men who buy a gun… ». Je trouve ça violent de présupposer qu’une tuerie par arme à feu a systématiquement un auteur masculin.

    Du coup j’espère que mon fils aura une partie de sa vie dédiée à la création manuelle : tricot, couture, travail du bois, etc. Parce que je partage ton point de vue sur l’effet d’émancipation ou d’empowerment de ces activités face à une société capitaliste et consumériste. Pour moi ce n’est juste pas genré.

    Bref. Je n’y réfléchis pas assez pour avoir un discours construit comme le tien, mais si je devais avoir une bonne résolution pour 2018 c’est de réfléchir à tout ça et de m’engager un peu plus dans la société.

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    1. « Du coup j’ai tendance à me positionner contre le partage genré des traits de caractère et des tâches et des qualités… » c’est la définition même du féminisme 🙂
      Et statistiquement, malheureusement (notamment à cause de la société sexiste), ce sont majoritairement des hommes qui sont auteurs de tueries (en particulier à l’arme à feu). Les féminismes combattent cette société, les féminismes sont pour l’égalité (pour les femmes et les hommes).

      J’ai pris un point de vue genré car je pars de la thèse que nous sommes certes dans une société ultra libérale mais aussi patriarcale 🙂

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  4. Article très intéressant, c’est aussi un sujet qui me parle même si je ne me sens pas toujours en accord avec le féminisme (ou du moins certaines choses que je trouve extrême).

    Je suis tout à fait d’accord avec l’idée que les « loisirs créatifs » (qui ne sont pas forcément des loisirs d’ailleurs) participent à l’autonomisation des femmes et ce d’autant plus avec internet. D’un autre côté je suis parfois dérangée pas la place que l’on ne donne pas aux hommes dans le monde du tricot. On a tendance à les oublier (et j’en fais parti…), un peu le côté club privé réservé aux femmes.

    J’ai aussi envie de rebondir sur l’isolement supposé du tricot. Je crois que ces remarques viennent pour beaucoup de la mise en avant de l’extraversion dans notre société. Pour « réussir » il faudrait être extraverti, parler beaucoup, sortir souvent et avoir plein d’ami. Une activité comme le tricot est en total décalage avec cette idée, d’où ce dénigrement par certains.

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    1. Totalement d’accord, je suis ravie aussi de voir des hommes qui tricotent, je vois pas pourquoi ce serait réservé aux femmes (c’est comme si je disais que la course à pied était réservée à un genre héhé)
      Pour « l’oubli des hommes », j’essaie toujours d’être inclusive (par exemple dans mes podcasts), ici je voulais juste écrire un article féministe en rapport avec une passion (ça ne vise absolument pas à les mettre « de côté », j’ai juste utilisé une focale).

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  5. Hello = ) J’ai trouvé ton article intéressant. Très honnêtement, et sans vouloir te pointer du doigt (ton article représente certainement beaucoup de travail), je trouve que ton article gagnerait à être revu en terme de ponctuation. J’ai dû relire certaines phrases plusieurs fois pour comprendre ce que tu voulais dire. Je ferme la parenthèse « emmerdeuse » ^^, J’espère que tu ne le prends pas mal… ; )

    Je suis bien d’accord avec toi sur l’aspect créatif. On ne regarde plus un pull du commerce ni son étiquette de la même façon quand on a déjà tricoté un pull. De manière générale, la société oublie un peu le juste prix des choses… On vit dans un monde ou le litre de lait coûte moins cher que le litre de coca, moins cher que certaines eaux minérales… Et où chacun connait l’impact humain (esclavagisme, travail des enfants, conditions de travail) caché derrière son nouveau vêtement ou son nouveau smartphone, mais où ça ne compte pas… Tricoter, ça me rappelle ce que peuvent faire mes deux mains, et tout ce à quoi je ne veux pas qu’elle servent.

    Une perle pour toi (Encore entendu récemment dans une série télé):
    – t’as quand même bien fait un max de conneries dans les années 60, hein?
    – Parce que toi, peut-être, tu tricotais dans les années 60?

    … WHAT?

    Je pense cependant qu’il faut distinguer « le tricot » de « la communauté tricot ». Oui, le tricot est une activité plutôt sédentaire, j’entends par là qu’on la pratique le plus souvent à la maison et seul, comme la lecture quoi… Et comme la lecture, ça connecte les gens si on a envie de se connecter, on crée des clubs de lecture, des tricothés, …. Mais la rencontre de gens grâce à ce centre d’intérêt commun, leur connexion, la création de la communauté…. finalement, je me demande si elle a vraiment un lien avec l’intérêt commun en question… Les fans de philatélie créent leur clubs aussi, et les timbres ne sont pas ce que j’appellerais un outil merveilleux de connexion et de partage… (enfin, si, pour leur utilisation postale c’est justement ça, en fait ^^,). Ce que je veux dire, c’est que le tricot peut porter la création d’une « communauté » comme n’importe qu’elle autre hobby en fait…

    Et en même temps, « communauté tricot » ça me parle tellement, je trouve que l’esprit de cette communauté est palpable dans plein de moments, dans les vidéos, sur les blogs, à travers tous les échanges que cela occasionne… Donc, allez, oui, un peu pub pour le tricot et sa communauté, ça fait du bien : )

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    1. Coucou 🙂 Oui, c’est certain que c’est comme tous les hobbys.
      Sinon, je suis d’accord : j’ai des gros problèmes de ponctuation ! J’ai relu l’article de nombreuses fois, je suis désolée mais je pense que je n’arriverai pas à faire mieux…

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  6. Bonjour,

    Je lis cela, et j’imagine un article qui défendrait une activité de création, n’importe laquelle, en le définissant directement et implicitement comme réservé aux hommes.

    Ledit article serait probablement, rapidement, et à juste titre, couvert d’opprobre.

    Mais là, non, c’est pas grave. Sous couvert de féminisme on continue tranquillement le sexisme.

    J’arrête là, ça m’énerve et j’ai des réductions à faire.

    Signé :
    Un mec qui tricote Oo

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    1. Je n’ai dit nulle part que le tricot était réservé aux femmes, j’ai dit que c’était un outil d empowerment pour elles. Comme ca peut l etre pour des hommes. Mais je sais que l anti feminisme primaire sans lecture semble légion. Bonne journée

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